Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'éthique dans la relation soignant soigné avec Jacques Chavassieux
Newsletter
Archives
8 mars 2010

Thanatos, autour de la mort

Thanatos ou notre relation à la mort

« Les organes vivent ensemble et meurent séparément » (bichat)

Définition : Autour du concept de la mort

« On s'accorde pour considérer la mort comme l'arrêt des fonctions vitales. Des critères sont établis pour permettre de simplifier la tâche des médecins certificateurs, en cas de transplantation (cf. cours : prélèvements d'organes).

Certains distinguent :

- la mort cellulaire

- la mort de l'organe

- la mort de l'organisme »

Docteur François Paysant : la mort et les formes médico-légales de la mort

Pour réfléchir autour de l’état de mort, nous utiliserons le concept du nœud borroméen de Jacques LACAN. La mort dans sa forme réelle (mort légale, biologique constatée, scientifiquement avérée), la mort dans sa forme imaginaire, magnifiée ou dramatisée en fonction de la psychologie des personnes et la mort symbolique où le rituel religieux, tribal, familial, permet d’accueillir et de diminuer les traumatismes générés.

La mort est un état (Littré : du latin mors) : physique, psychique, biologique, social, légal, décrit et attesté de manière formelle.

Le mort est une personne : celui ou celle qui a cessé de vivre. (Littré) le mort est privé de vie, de vivant, d’interaction, de communication.

Les conséquences de l’état de mort sont multiples. Le fait de la mort change la vie des « restants », des proches. Il y a un nom pour les « restants », veuve, veuf, orphelin. Il y a un nom qui n’existe pas pour les « restants » c’est celui qui donne un nom à la mère ou au père qui ont perdu un enfant.

Les causes de la mort sont diverses. L’être humain construit sa structure psychique en pensant consciemment ou inconsciemment au fait de mourir. La qualité de notre vie pourrait être liée à la conscience de notre mort. Il y a des morts subites, voulues, accidentelles. Il est rare que la mort laisse indifférent.

Dans le service de réanimation, entre 20 et 35% de mourants par an, les professionnels qui ont travaillé avec les patients déclarés morts sont des restants. Ils sont « impactés », touchés obligatoirement par la mort de l’autre.

La mort est vécue différemment en fonction des pays.

Au Nigéria, dans les années 80, dans les faubourgs de la ville de Legos, les morts victimes à la suite des émeutes gisaient en pleine rue sans que personne ne s’en occupe.

Dans d’autres pays, le mort est encensé (entouré d’encens), le mort est honoré, sa famille soutenue, accompagnée ; et dans l’histoire, l’imaginaire social, lié à la mort, a évolué en fonction des civilisations. Certaines morts étaient cachées, d’autres montrées. Les rituels de deuil furent individualisés ou collectifs.

Les restants, tous les restants, sont impactés de façon légère ou forte dès l’annonce de la mort jusqu’à un jour lointain où cette mort sera digérée et pourra être évoquée sans souffrance, sans pathos. Ce processus de rémission a été décrit par la psychiatre américaine Elisabeth KÜBLER-ROSS.

Selon Elisabeth KÜBLER-ROSS (1969), après un diagnostic de maladie terminale, on observe "cinq phases du mourir" (Five Stages of Grief)

1)  Déni (Denial) ; Exemple - « Ce n'est pas possible, ils ont dû se tromper. »

2)  Colère (Anger) ; Exemple – « Pourquoi moi et pas un autre ? Ce n'est pas juste ! »

3)  Marchandage (Bargaining) ; Exemple – « Laissez-moi vivre pour voir mes enfants diplômés." "Je ferai ce que vous voudrez, faites-moi vivre quelques années de plus. »

4)  Dépression (Depression) ; Exemple - « Je suis si triste, pourquoi se préoccuper de quoi que ce soit ? », « Je vais mourir... Et alors ? »

5)  Acceptation (Acceptance) ; Exemple – « Maintenant, je suis prêt, j'attends mon dernier souffle avec sérénité. »

On remarque que l'acceptation de la mort passe par les mêmes étapes que le deuil.

KÜBLER-ROSS a initialement appliqué ces étapes à toute forme de perte catastrophique (emploi, revenu, liberté). Cela comprend également la mort d'un être cher, le divorce, la toxicomanie, ou l'infertilité. KÜBLER-ROSS a également fait valoir que ces étapes ne sont pas nécessairement dans l'ordre indiqué ci-dessus, toutes les étapes ne sont pas non plus vécues par tous les patients, mais chaque victime en vivra toujours au moins deux.

Au niveau de l’imaginaire, nous avons tous éprouvé la peur de mourir et certains l’envie de mourir. La mort est un état présent dans nos vies. Il y a des morts justes ou injustes.

La mort fut jusqu’en 1981 une sanction pénale donc une menace. Au niveau de l’imaginaire, il y a même des morts justes et injustes. Nous entendons dire à propos d’une personne âgée de 84 ans : « ça va, elle a eu une belle vie ». Les « restants » pensent que c’est douloureux mais pas injuste. Par contre, un adolescent ou un enfant qui disparait, plongent l’ensemble des « restants » dans un sentiment d’injustice, de mal-être.

Au niveau symbolique, il y a des morts honorées en fonction de l’image sociale du décédé. Il y a des morts humiliés s’ils ont trahi ou se sont mal conduits. Il y a des morts cachées, dissimulées (avortement, fausse couche, décès d’une personne illégitime. Il y a quelque chose de symboliquement inacceptable dans la mort et les « restants » ont, de tout temps, continué à vivre avec leurs morts, en leur donnant une place au cimetière, dans la maison familiale. Beaucoup de personnes restantes continuent de converser avec un mort qui leur était très proche.

Dans le service de réanimation, dans ce réel où tout est organisé pour éviter la mort, chacun des personnels est lui-même le « restant » d’un mort proche ou éloigné. À chaque fois qu’un patient est annoncé cliniquement mort par ces trois lettres : DCD, il y a un premier niveau d’impact en fonction de l’investissement produit par le soignant et un deuxième degré d’impact quant la mort du patient vient réveiller l’état de « restant » du soignant. Si l’équipe est soudée, agglomérée, toute l’équipe devient le « restant » du patient décédé (je me souviens du cas d’une patiente arrivée enceinte de six mois, pour une embolie pulmonaire majeure, la mort de cette femme et de son bébé avait sidéré toute l’équipe). Communiquer de façon optimale à ce moment-là implique un travail préparatoire dans l’équipe pluridisciplinaire.

Les soignants sont souvent bien préparés et compétents pour tous les gestes techniques, mais la maîtrise de soi, la conscience de ce qui affecte est tue, niée, rarement dite. Quelques groupes de parole existent toutefois. Des psychologues dans l’établissement peuvent recevoir des personnels choqués, mais il s’agit là d’actions sporadiques, curatives.

Afin de favoriser la communication avec le patient intubé-ventilé et sa famille, la première préconisation sera de constituer un groupe de parole préventif afin de préparer ou avertir les plus faibles de ce qu’ils vont ou peuvent vivre dans cet univers.

Parler de la mort, parler de la mort a venir, parler de ce mort, de celui qui va mourir, de celui qui est mort depuis longtemps, est une démarche préventive utile pour garder en bon état la santé psychique des soignants et des familles présentes.


Publicité
Commentaires
L'éthique dans la relation soignant soigné avec Jacques Chavassieux
  • L'objectif de ce blog est d'ouvrir un débat sur les relations soignants soignés, de présenter et d'analyser la phénoménologie de ces singulières relations. Le périmètre est volontairement limité aux services de réanimation.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
L'éthique dans la relation soignant soigné avec Jacques Chavassieux
Publicité